samedi 15 mars 2014

42. Les dons au Téléthon sont-ils des niches fiscales ?

Le lieu commun du mois de mars 2014
Les dons au Téléthon sont-ils des niches fiscales ? ou : Comment ne pas s'enrichir à peu de frais


Sujet : un point mal compris du système fiscal français
Objet : l'article de Renaud Chartoire, « Qui profite des niches fiscales ? », dans Sciences humaines, mars 2014, page 24


Le blog de Jacques Goliot : un blog sur toutes sortes de sujets…








Dans cet article (qui fait partie d’un dossier sur la fiscalité), on trouve l’énoncé suivant : « Les principales [niches fiscales], soit en termes de nombre de bénéficiaires soit en fonction des montants engagés, concernent le quotient familial (si on l’intègre dans la liste des niches), les dons aux associations et œuvres caritatives, les déductions pour l’emploi à domicile. ».

Cet énoncé contient à mon avis une erreur : classer « les dons aux associations et œuvres caritatives » dans les « niches fiscales ». C’est une opinion du reste très répandue : c’est bien évident, puisque, « si on fait des dons, on paye moins d’impôts ». Avant de la lire sous la plume d’un rédacteur à Sciences humaines, je l’avais rencontrée au cours d’une réunion consacrée au thème de la fiscalité.

Il est tout à fait exact que (dans les conditions prévues par la loi), les dons permettent de payer moins d’impôts. Et pourtant, ce ne sont pas des « niches fiscales », ce que je vais m’efforcer de démontrer.

Vraies et fausses niches
Je commencerai par le cas d’une vraie niche (le mot n’ayant en l’occurrence aucun sens péjoratif), à travers l’exemple (non cité par R. Chartoire) des dégrèvements pour travaux d’économie d’énergie. Pour l’achat d’une nouvelle chaudière d’une valeur de mettons 5000 euros, je bénéficie d’une réduction d’impôt de mettons 1500 euros : dans ce cas je deviens propriétaire d’un bien réel de 5000 euros que j’ai payé 3500. J’ai bénéficié d’un gain, 1500 euros que je conserve au lieu de les avoir dépensés : il s’agit bien d’une niche fiscale.

Qu’en est-il quand je fais un don ? Si je donne 1000 euros, je bénéficie d’un dégrèvement de 660 euros. J’ai dépensé réellement 340 euros ; mais, en contrepartie de cette somme, je ne détiens rien de tangible, ni bien, ni pouvoir dans la ou les associations bénéficiaires, ni rien qui ait un prix. Je ne bénéficie d’aucun gain : il ne s’agit donc pas d’une niche fiscale. Les dons aux associations ne seraient une niche fiscale que si, donnant 1000, je recevais 1000 + X euros de l’Etat, ce qui n’est évidemment pas le cas.

L’idée de faire des dons aux associations « pour pouvoir payer moins d’impôts » est inepte : si on est près de son argent, il vaut mieux payer les impôts qu’on doit et ne faire aucun don !

Qui serait le perdant en cas de suppression ?  
Supposons que les dons soient exclus des dégrèvements fiscaux. Si je continue de donner 1000 euros sans rien recevoir de l’Etat, il semble que « j’y perde quelque chose ».  Mais, en réalité, rien ne m’oblige à continuer de donner 1000 euros (sauf bien sûr le sens de l’honneur, la conscience morale, etc.) : rien de légalement ou de factuellement contraignant en tout cas. En fait, au lieu de donner 1000 euros, je peux n’en donner que 340 : le résultat sera exactement le même pour moi qu’avant la suppression du dégrèvement : j’ai dépensé 340 euros.
Mais, dans ce cas, il y aurait bien un perdant : les associations bénéficiaires. Il est donc logique qu'elles « montent au créneau » pour empêcher cette suppression.

Il n’en va pas de même si on supprime les dégrèvements pour les chaudières : dans ce cas, si je veux la même chaudière, je paye 5000 euros au lieu de 3500 ; je peux évidemment acheter une chaudière à 3500 euros, mais je serai propriétaire d’une chaudière à 3500 euros et non plus à 5000.

Ce que sont réellement les dégrèvements pour dons
Cette différence doit être analysée afin de comprendre ce que sont vraiment les dégrèvements pour dons aux associations :
*dans le système actuel, quand je donne 3 euros à une association, je diminue mes impôts de 2 euros (Dépense = 3 + Impôt - 2 = I + 1) ;
*c’est exactement la même chose que si je donnais 1 euro à l’association, que je payais mes impôts intégralement et que l’Etat versait 2 euros à l’association (D = .1 + I = I + 1)
Il s’agit en réalité d’un système de subventions à certaines associations, un système dans lequel à chaque fois que, dans la limité prévue, un contribuable donne 1 euro à une association, l’Etat verse 2 euros à cette association.

Un cas élémentaire de compensation 
On se trouve ici devant un cas parfaitement banal de transactions entre des personnes privées : le cas où deux personnes (A et B) veulent faire un cadeau de, mettons 100 euros, à une troisième (C). Ce qui peut  se passer est que A achète le cadeau ; B lui doit donc 50 euros. Quand B rend ces 50 euros à A, en réalité il verse sa part du cadeau commun à C. Si on suppose maintenant que A doit 500 euros à B : au lieu que B donne 50 euros à A, A va rendre 450 euros à B, de sorte que les deux dettes disparaissent. Personne n'imaginerait dans ce cas que A a obtenu une « réduction de dette » : il a réglé sa dette à B et B a réglé sa dette à A. 
Il est curieux que des gens qui réfléchissent sur l'économie soient incapables de voir que dans le cas des dons aux associations, il n'y a nullement « réduction d'impôts », mais versement d'argent en commun par un particulier et par l'Etat et que, comme le particulier verse la totalité, l'Etat se trouve en dette, de sorte que le particulier peut diminuer sa propre dette envers l'Etat (l'IRPP) de la somme qui lui est due. 

Pourquoi cette procédure ?
Il est évidemment plus simple pour l’administration du Trésor de procéder de façon détournée, ce qui permet de remplacer trois transactions par deux : je verse 3 et l’Etat me rembourse 2, dans le cadre d'une opération de compensation de dettes mutuelles.
Par ailleurs, le Trésor peut toujours espérer que j'omette de déclarer certains dons.
Enfin, cette procédure a un effet mystificateur, qui fait que les gens croient « payer moins d’impôts » et que les économistes et les journalistes économiques croient qu'il s'agit de « niches fiscales ». Pourtant les associations le disent clairement : « cela ne vous coûte que X euros » ; donc, implicitement : « cela vous coûte X euros ».
  
Ce que sont les dégrèvements autres que pour dons
Cette analyse permet aussi de comprendre que les autres dégrèvements fiscaux sont aussi des subventions, mais qui profitent au contribuable et non pas à un tiers ; l'analyse qui les présente comme des « manque à gagner », est tout à fait superficielle. Il n'y a pas de différence fondamentale entre un dégrèvement fiscal pour achat d'une chaudière et une « prime à la casse », sauf que, dans le premier cas, la subvention passe par une opération fiscale, et pas dans le second. Mais il serait tout à fait possible de payer une « prime à la casse » par le biais d'une procédure de dégrèvement fiscal. 

Dans ces conditions, l'utilisation de l'expression « niche fiscale » est de peu d'intérêt pour comprendre ce qui se passe ; son intérêt est exclusivement rhétorique : elle contient une nuance péjorative qui permet à certains hommes politiques, avec la complicité de journalistes balourds, de faire les matamores en disant qu'ils vont « raboter les niches fiscales », voire les supprimer, se donnant ainsi à peu de frais l'aura de pourfendeurs de privilèges. 

Mais, en tout cas, elle ne devrait être utilisée que lorsque le contribuable bénéficie effectivement d'une subvention, comme c'est le cas pour les investissements d'économie d'énergie ou les investissements outre-mer, etc. (la réduction d'impôt est alors réelle), mais pas pour les dons aux associations. 

Conclusion
Verser de l'argent au Téléthon, ou à une autre association reconnue d'utilité publique, n'est pas un bon moyen de s'enrichir. Désolé pour tous ceux qui le croyaient jusque là.
Cela n'empêche pas que l'on puisse s'interroger sur le principe, et encore plus sur les modalités de ces subventions. 
Mais qu'au moins le donateur ne soit pas montré du doigt comme un vulgaire assuré-vie, ni ne bénéficie des louanges du Figaro comme « contribuable malin ».



Création : 15 mars 2013
Mise à jour : 14 avril 2014




Première version (15 mars 2013)
Dans cet article (qui fait partie d’un dossier sur la fiscalité), on trouve l’énoncé suivant : « Les principales [niches fiscales], soit en termes de nombre de bénéficiaires soit en fonction des montants engagés, concernent le quotient familial (si on l’intègre dans la liste des niches), les dons aux associations et œuvres caritatives, les déductions pour l’emploi à domicile. ».

Cet énoncé contient à mon avis une erreur : classer « les dons aux associations et œuvres caritatives » dans les « niches fiscales ». C’est une opinion du reste très répandue ; c’est bien évident, puisque, « si on fait des dons, on paye moins d’impôts ». Avant de la lire sous la plume d’un rédacteur à Sciences humaines, je l’avais rencontrée au cours d’une réunion consacrée au thème de la fiscalité.

Il est tout à fait exact que (dans les conditions prévues par la loi), les dons permettent de payer moins d’impôts. Et pourtant, ce ne sont pas des « niches fiscales », ce que je vais m’efforcer de le démontrer.

Vraies et fausses niches
Je commencerai par le cas d’une vraie niche (le mot n’ayant en l’occurrence aucun sens péjoratif), à travers l’exemple (non cité par R. Chartoire) des dégrèvements pour travaux d’économie d’énergie. Pour l’achat d’une nouvelle chaudière d’une valeur de mettons 5000 euros, je bénéficie d’une réduction d’impôt de mettons 1500 euros : dans ce cas je deviens propriétaire d’un bien réel de 5000 euros que j’ai payé 3500. J’ai bénéficié d’un gain, 1500 euros que je conserve au lieu de les avoir dépensés : il s’agit bien d’une niche fiscale.

Qu’en est-il quand je fais un don ? Si je donne 1000 euros, je bénéficie d’un dégrèvement de 660 euros. J’ai dépensé réellement 340 euros ; mais, en contrepartie de cette somme, je ne détiens rien de tangible, ni bien, ni pouvoir dans la ou les associations bénéficiaires, ni rien qui ait un prix. Je ne bénéficie d’aucun gain : il ne s’agit donc pas d’une niche fiscale. Les dons aux associations ne seraient une niche fiscale que si, donnant 1000, je recevais 1000 + X euros de l’Etat, ce qui n’est évidemment pas le cas.

L’idée de faire des dons aux associations « pour pouvoir payer moins d’impôts » est inepte : si on est près de son argent, il vaut mieux payer les impôts qu’on doit et ne faire aucun don !

Qui serait le perdant en cas de suppression ?  
Supposons que les dons soient exclus des dégrèvements fiscaux. Si je continue de donner 1000 euros sans rien recevoir de l’Etat, il semble que « j’y perde quelque chose ».  Mais, en réalité, rien ne m’oblige à continuer de donner 1000 euros (sauf bien sûr le sens de l’honneur, la conscience morale, etc.) : rien de légalement ou de factuellement contraignant en tout cas. En fait, au lieu de donner 1000 euros, je peux n’en donner que 340 : le résultat sera exactement le même pour moi qu’avant la suppression du dégrèvement : j’ai dépensé 340 euros.
Mais, dans ce cas, il y aurait bien un perdant : les associations bénéficiaires. Il est donc logique qu'elles « montent au créneau » pour empêcher cette suppression.

Il n’en va pas de même si on supprime les dégrèvements pour les chaudières : dans ce cas, si je veux la même chaudière, je paye 5000 euros au lieu de 3500 ; je peux évidemment acheter une chaudière à 3500 euros, mais je serai propriétaire d’une chaudière à 3500 euros et non plus à 5000.

Ce que sont réellement les dégrèvements pour dons
Cette différence doit être analysée afin de comprendre ce que sont vraiment les dégrèvements pour dons aux associations :
*dans le système actuel, quand je donne 3 euros à une association, je diminue mes impôts de 2 euros (Dépense = 3 + Impôt - 2 = I + 1) ;
*c’est exactement la même chose que si je donnais 1 euro à l’association, que je payais mes impôts intégralement et que l’Etat versait 2 euros à l’association (D = .1 + I = I + 1)
Il s’agit en réalité d’un système de subventions à certaines associations, un système dans lequel à chaque fois que, dans la limité prévue, un contribuable donne 1 euro à une association, l’Etat verse 2 euros à cette association.

Mais il est évidemment plus simple pour l’administration du Trésor de procéder de façon détournée : je verse 3 et l’Etat me rembourse 2 (de plus, le Trésor peut toujours espérer que des gens omettent de déclarer certains dons) et cela a sans doute un effet « mystificateur », qui fait que les gens croient « payer moins d’impôts ». Pourtant les associations le disent clairement : « cela ne vous coûte que X euros » ; donc, implicitement : « cela vous coûte X euros ».
  
La particularité de ce système de subventions est que, dans les limites prévues, le libre choix d'un contribuable devienne une contrainte pour l’Etat, qui conserve le pouvoir de déterminer qui est éligible à ce mode de subvention, par le biais de la déclaration d'utilité publique.


Conclusion 
On peut, à partir de là, s’interroger sur la légitimité de ce système de façon plus pertinente que si l’on croit que « nous sommes tous bénéficiaires des dons aux associations » ou que (idée particulièrement grotesque, venant d'un responsable du Trésor), ces dégrèvements sont « un manque à gagner pour les finances de l'Etat »





























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